Butterfly 1, 2022 © Rita Natarova
En automne 2024, la galerie Analix Forever a accueilli les œuvres de Rita Natarova, peintre d’origine russe, basée à Londres. Après avoir réalisé en 2008 une résidence artistique au sein même d’Analix Forever (à l’époque situé rue de l’Arquebuse / rue de Hesse), où elle a également participé à deux expositions de groupe – l’artiste présente à Chêne-Bourg son exposition personnelle « Renaissance ».
Rita Natarova peint à l’huile, une technique qui nécessite du temps et de la patience. Observer, analyser, reproduire : l’artiste contemple et s’inspire du monde qui l’entoure. En repoussant les limites de sa conscience, Rita Natarova crée des œuvres où le rêve et la réalité s’entremêlent. Fermer les yeux et s’adonner à l’inconnu : « Renaissance » nous invite à découvrir les paysages intimes de notre propre existence.
Une association entre réel et fiction
Les peintures de Rita Natarova interpellent notre regard et éveillent nos sens. Les visiteurs, admiratifs, s’interrogent sur le sujet représenté par l’artiste et sur la signification qui se cache dans ses toiles. Le réalisme saisissant de ses œuvres amène parfois le spectateur à se demander s’il s’agit bien de peintures…
De manière subtile et parfois frontale, Rita Natarova parvient instinctivement à troubler nos perceptions, en nous entraînant dans un univers à la fois inconnu et familier. L’artiste dévoile ses états d’âme sans filtre, déversant le flot de son imaginaire sur la toile. Elle se remémore, lentement, chaque détail de sa vie, de ses rencontres et de ses rêves.

L’œuvre Butterfly 1 (2022), incarne cette recherche constante et presque inconsciente d’une réalité couplée à une pure invention de l’esprit. Plus encore, cette œuvre reflète un état d’esprit particulier. À travers elle, Rita Natarova associe la douleur à la délicatesse. Le papillon, symbole de fragilité et d’éphémère, devient, sous son pinceau, une créature extraordinaire. En explorant la beauté du lépidoptère, l’artiste y ajoute de petites taches rouges, représentant une pathologie affectant un organe. L’arrière-plan, quant à lui, agit comme un point d’ancrage, un retour au réel, suggérant l’idée que l’artiste aurait pu apercevoir cette créature sur l’écorce d’un arbre. Ailes déployées, à peine posées, ce papillon interroge notre regard et nous invite, à notre tour, à imaginer quel pourrait être son avenir.
Une évasion vers un ailleurs, l’univers créateur
L’une des compétences remarquables de Rita Natarova réside dans sa capacité à créer une ambivalence omniprésente entre flou et clarté. L’artiste parvient à réunir deux univers opposés au sein d’un même tableau, oscillant entre, voire combinant, onirisme et réalisme. Le spectateur, désorienté, perd ses repères et se retrouve face à la frontière tangible de l’invisible. C’est un retour à l’enfance, une incarnation physique du rêve, une invitation à la création : Rita Natarova transcende et repousse sans cesse les limites de nos perceptions.

L’œuvre Untitled (2006), illustre ce dépassement des frontières du réel. Nous entrons dans le monde de l’imaginaire. Les mains posées sur une fine paroi brumeuse, à peine discernable, un petit garçon contemple un objet aux formes indistinctes, situé de l’« autre côté ». Ce moment suspendu, au cœur duquel l’enfant se tient à la lisière du monde de ses songes, initie le spectateur à un retour éphémère vers sa propre enfance, son propre intérieur. Rita Natarova explore la notion du désir, du rêve enfoui, et de ce qui nous échappe. L’artiste engage ainsi le spectateur dans une quête, où chaque regard renouvelle notre expérience, et où chaque interprétation enrichit le récit de l’œuvre.
Quête intérieure, la liberté de rêver
Les œuvres de Rita Natarova possèdent une narration qui leur est propre. Inscrites dans une dimension à la fois universelle et intime, ses peintures deviennent des espaces de recueillement dédiés à la méditation et à l’introspection. C’est également une manière pour l’artiste de conserver des fragments de sa vie, en les inscrivant de manière pérenne sur la toile. Le poids des pensées, la liberté de rêver, l’exploration et la contemplation intérieures : Rita Natarova nous entraîne dans un dialogue silencieux avec nos propres secrets.

Untitled (2010), prolonge cette quête d’introspection silencieuse. Ce profil à demi-caché éveille en nous une curiosité instinctive – et peut-être même une frustration – face à l’inconnu, à l’impossibilité de percevoir ce visage dans son entièreté. La posture de l’individu nous évoque divers états émotionnels : accablement, repos, pesanteur, mais aussi légèreté de l’être. La dualité entre réalisme et abstraction y est omniprésente. La main, lourde de la pesanteur qu’elle soutient, se rapproche d’un réalisme photographique, tandis que la chevelure, légère, s’évapore peu à peu dans un flou éthéré. Cet effet de brume, énigmatique et mouvant, laisse transparaître une sensation de mirage, l’esquisse d’un rêve éveillé. Il nous place dans une quête d’un « ailleurs » connu de tous, mais singulièrement personnel – celui des idées fugitives, des pensées intimes.
Comme l’écrivait Milan Kundera : « Qui cherche l’infini n’a qu’à fermer les yeux ». Fermer les yeux, c’est s’abandonner à cet espace intérieur où les idées surgissent, s’évanouissent et renaissent inlassablement. C’est pénétrer une obscurité pure, où les frontières de la conscience s’effacent. À l’image d’un roman en devenir, notre esprit devient un territoire infini pour rêver, inventer ou ne rien voir et refuser. Rita Natarova, à l’instar de Kundera, ne cherche pas simplement à opposer la légèreté à la pesanteur, mais à révéler leur indissociabilité. L’être humain est le fruit de ces deux pôles, l’un ne pouvant exister sans l’autre. C’est dans cette tension fragile, et parfois conflictuelle, que réside l’essence même de notre existence. Fermer les yeux n’est pas une fin en soi, mais le début d’une exploration profonde. C’est L’Insoutenable Légèreté de l’être.

L’exposition « Renaissance » se présente comme une biographie visuelle de l’artiste. À travers ses peintures, l’artiste nous dévoile son monde intérieur, témoigne de ses états d’âme et immortalise des fragments de son vécu. Rita Natarova nous invite à accepter l’indéfini. Son art nous plonge dans une contemplation mystérieuse et spirituelle, où chacune de ses œuvres devient le miroir de nos propres pensées, réflexions et rêves.
Rita Natarova (1980, Moscou) vit et travaille à Londres. Elle a étudié la peinture à la Jerusalem Studio School en 2000 et obtient un BFA au Maryland Institute College of Art en 2002, aux États-Unis. Ses œuvres ont été présentées aux États-Unis, au Moyen-Orient et en Europe. Elle a réalisé une commande pour le McNeil Center for Early American Studies de l’Université de Pennsylvanie en 2005. La plupart de ses œuvres font désormais partie de collections privées.