Œuvre photographique de l'artiste Isabelle Chapuis. Vitiligo sur le corps d'une femme. Couleur beige, marron, rosé.

Tysha #31, de la série Vivant, Le sacre du corps, 2015 – 2022, © Isabelle Chapuis

Antonio Albanese, lausannois d’origine italienne, est écrivain et musicien. Titulaire d’un master de la Manhattan School of Music de New York, il est spécialiste de guitare contemporaine et fan de John Cage, mais aussi passionné de vie sous-marine et maître d’œuvre d’une série policière mettant en scène Matteo Di Genaro, hédoniste irrévérencieux et multimilliardaire par la grâce du Ciel. On achève bien les centenaires raconte la cinquième enquête du dit Matteo – un prénom qui signifie « don de Dieu » ­– qui parle à la première personne. En lisant, on croit parfois entendre la voix de l’auteur… 

On achève bien les centenaires se déroule à Naples. L’auteur ne lésine pas sur les déclarations d’amour à cette ville où selon lui l’on vit et meurt « Comme partout peut-être / Mais plus intensément / », et son long poème lyrique dédié à cette déesse nous conduit immédiatement à acheter notre billet de train pour Naples. L’attrait en devient encore plus irrésistible lorsque ce poème est déclamé par un acteur chevronné – ah Naples – tel que Benjamin Knobil, le 30 janvier, lors de la première soirée-dédicace du livre à Forever Livres. Un moment précieux qui signe le début de nombreuses autres dédicaces passées et à venir, dont le festin napolitain du 12 février à Lausanne !

L’enquête policière est nourrie d’une excellente connaissance de l’Histoire, notamment des liens entre les goumiers du Maroc et les Français au moment de la libération de Naples et de ses environs à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. On revoit mentalement le déroulé de La ciociara, l’un des films qui fit la célébrité infinie de la sublime napolitaine Sophia Loren… Mais cette nouvelle enquête criminelle d’Antonio Albanese est aussi comique, tragique, introspective, didactique, éminemment féministe, d’une esthétique littéraire impeccable et d’un sens moral rassurant. Elle explore des thématiques qui résonnent à l’universel : le poids des secrets de familles, les rencontres hasardeuses, les conflits intergénérationnels, et propose une manière de vivre sans préjugés à l’image du personnage de Léa, la nièce de Matteo Di Genaro, lesbienne, de mère juive, propalestinienne, geek hors normes. Le suspense nous tient en haleine, avec un happy end bienfaisant qui écarte les nuages qui pèsent sur nos têtes et celles des personnages du roman comme de ceux de la réalité qui nous entoure.

© BSN Press

L’histoire nous rappelle les intrigues d’Hercule Poirot : chaque nouvelle révélation semble nous rapprocher de la vérité, mais comme dans tout bon récit à suspense, le doute persiste et la tension reste entière, jusqu’aux toutes dernières pages du récit. Le lecteur, tout comme l’enquêteur, enfile sa casquette d’investigateur (ou son casque de motard), examine chaque détail, suit les pistes et élimine ses suspects. Une page se tourne, la question demeure : avons-nous manqué un indice clé quelques lignes plus haut ? (L’enquêteur nous rappelle d’ailleurs plus souvent qu’à son tour, d’être bien attentifs…)

La lecture devient ainsi expérience et l’univers de Matteo Di Genaro devient le nôtre. Un univers à tiroirs, tous ouverts, à l’image des notes de bas de pages qui comportent des notes de bas de pages à l’intérieur desquelles se glissent d’autres notes encore… Le langage choisi par Antonio Albanese, singulier à chaque personnage de son récit, permet au lecteur de se glisser tour à tour dans la peau de Chiara, Lola ou Lucas, s’imprégnant de leurs émotions et de leur vécu. Mais que ferions-nous à la place de Matteo Di Genaro.

L’intrigue policière est aussi l’occasion, pour Antonio Albanese, de nous rappeler sans en avoir l’air un certain nombre de vérités auxquelles il semble tenir : les différences profonde entre les moralistes et les moralisateurs, et sa préférence pour les premiers ;  la bisexualité comme avenir de l’humanité ; la vraie beauté qui émane des imperfections assumées, telle la peau de dentelle des femmes de son récit, atteintes de vitiligo de mères en filles ; et surtout, et enfin : passer les cadeaux qu’on a reçus à celles et ceux que la vie met sur notre chemin. Justice peut être faite, quand passe le justicier, et c’est apotropaïque ! Et même si elle est toujours précaire, la liberté nous fait signe, au bout du chemin, au bout du roman, au bout de cet univers où vécut un presque centenaire (à quatre jours près, ce n’est pas un hasard) et où se mêlent suspense, douceur, sensualité, brutalité et humanité. 

#31, de la série Vivant, Le sacre du corps, 2015 – 2022,
© Isabelle Chapuis

Retrouvez le livre d’Antonio Albanese sur le site BSN Press ou à la librairie Forever Livres
Au 10 Rue du Gothard, Chêne-Bourg

Laisser un commentaire